Sénat : table-ronde sur la formation professionnelle

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Le projet de Loi répond-il aux enjeux de la réforme de la formation professionnelle ? Quelle place pour l’individu dans le choix de se former ? Quelle appétence à la formation ? Quelle évolution pour les OPCA ? Autant de questions débattues lors d’une table-ronde sur la formation professionnelle organisée par la Commission des affaires sociales du Sénat.

Dans la perspective de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, une table-ronde sur la formation professionnelle a été organisée mercredi 16 mai 2018 par la Commission des affaires sociales du Sénat. L’objectif des échanges étaient de savoir si le projet de Loi répond aux besoins de réforme professionnelle de notre pays.

Yves Daudigny, membre de la Commission des affaires sociales et Sénateur de l’Aisne souligne lors de ces échanges que :

” la réforme contribue à dessiner une société des individus, chacune, chacun disposant de son smartphone – outil obligatoire – et des logiciels permettant d’entrer en contact avec tout service public ou tout dispositif social. Les droits deviendraient universels. Mais n’y a t-il pas contradiction à vouloir cette société des l’individu et la nécessité d’accorder des priorités (lutte contre le chômage, mutation numérique, insertion des jeunes” ?”.

Joël Ruiz, Directeur général d’Agefos-PME partage sa vision du projet de Loi en indiquant que :

“L’enjeu premier qui me semble déterminant est la politique de l’emploi. C’est d’affecter massivement des ressources pour soutenir la politique de l’emploi et en particulier pour lutter contre le chômage de masse et en particulier des jeunes. C’est aussi accessoirement soutenir les mutations économiques dont la transition numérique. A partir de là on comprend que les ressources de cette réforme sont fléchées vers l’emploi. L’Etat prend en main l’essentiel des ressources pour pouvoir mener cette politique. Il prend ses responsabilités dans un système qui était jusqu’à présent un système partagé entre plusieurs acteurs (Les Régions, Les partenaires sociaux et l’Etat) en un dispositif où c’est lui qui prend la main sur l’essentiel du financement en laissant un individu autonome sur son CPF. Si on n’a pas à l’esprit l’ambition du Gouvernement, on ne comprend pas la réforme qui s’annonce.”

Pour Jean-Philippe Maréchal, Vice-Président d’AGEFOS-PME, l’enjeu porte sur la plus grande autonomie des individus mais aussi des entreprises :

” Historiquement le financement de la formation a toujours été ambigu dans son objet, entre les partenaires sociaux qui revendiquaient l’appartenance des fonds entre guillemets, et l’Etat qui considérait que c’était une contribution fiscale, qui a ce titre, c’était à lui d’en gérer l’organisation et l’utilisation.

L’enjeu essentiel est que toute la contribution soit clairement organisée et utilisée par l’Etat pour une mission, la lutte contre le chômage et la formation des demandeurs d’emploi. Cela renvoie à l’individu plus autonome dans la gestion de ses besoins de formation, mais également l’entreprise. Depuis la réforme de 2014 le plan de formation n’était plus mutualisé pour les entreprises de plus de 300 salariés. Avec cette réforme, ce sera pour les entreprises de plus de 50 salariés. On renvoie sur les entreprises elle mêmes aussi le financement de leur besoin de formation d’ou aussi l’évolution du rôle des OPCA. D’ailleurs, cette évolution, ce n’est pas une rupture, mais elle s’inscrit dans les réformes précédentes. Là on est dans une mission d’accompagnement.”

Des notions clés : droit universel, désintermédiation, investissement immatériel

 Jean-Marie Luttringer, expert en Droit de la Formation a partagé son regard sur l’approche juridique, à savoir quels seront les effets structurants possibles de cette reforme qui s’inscrit dans le long terme. Comment ces intentions politiques vont-elles être gravées dans la Loi ? Les intentions politiques sont en adéquation avec des évolutions générales de la société (personnalisation, individualisation) mais avec des paris lourds qui ne sont pas encore gagnés.

Sur la notion de droit universel, il rappelle que cela implique que :

” toute personne quels que soient son statut, sa situation le territoire sur lequel elle se trouve, puisse disposer de droits opposables à quelqu’un (employeur ou collectivité) et effectifs (ressources) et dans le cas échéant justiciable.

La notion a-t-elle le même sens pour un travailleur en indépendant et un salarié, ou pour un fonctionnaire ? Je ne le crois pas. De quoi parle-t-on ? Ce droit devrait s’arrêter en principe à la retraite, mais peut continuer en cas d’activité bénévole.

Cette problématique est liée à la nature du public : qu’est-ce qu’un “actif occupé” ?

La question de l’effectivité se pose aussi selon Jean-Marie Luttringer :

“Il faut des ressources, des moyens. Pour les salariés du secteur privé, il y a effectivité à partir du moment où l’employeur est tenu de verser 500 euros / an pour une formation. La question est de savoir si cette ressource permet d’acheter. Le Gouvernement fait le pari que ça ne suffira pas mais qu’il y aura des abondements. Je pense qu’il y a un non dit avec un co-financement par les ménages, avec un accroissement de la contribution des ménages. La question est de savoir comment ça s’équilibre par rapport à l’égalité d’accès.”

Par ailleurs, il rappelle que l’intermédiation paritaire n’est pas compatible avec un droit universel selon le Gouvernement d’où le choix d’aller vers la désintermédiation :

“L’intermédiation au niveau des OPCA est “retrogradé” et ils doivent justifier de la pertinence de leurs services. Si cette intermédiation est remise entre les mains de l’Etat, la question se pose entre le lien entre la personne allant se former et le prestataire. La formation suppose un projet, une réflexion préalable. Cette fonction doit être dotée de moyens, on a un risque réel d’échec.”

Enfin, l’investissement immatériel est la 3e notion clé liée à cette réforme de la formation professionnelle. La formation est un investissement immatériel.  La question pour l’appétence à la formation se pose. Selon Jean-Pierre Luttringer, la question de fond est l’arbitrage : fera-t-on un investissement dans les loisirs, dans la voiture ou dans la formation ?

La question de l’appétence à se former

 Celine Schwebel, Présidente d’AGEFOS-PME souligne la place de l’appétence dans le CPF :

“L’une de notre fonction était de donner de l’appétit, prioritairement aux chefs d’entreprise pour amener les collaborateurs à se former davantage en fonction des objectifs de la dite entreprise. Aujourd’hui, ce principe d’appétence est généralisé au travers des outils numériques que le Gouvernement compte mettre en place : on attend de tout à chacun d’aller consulter les catalogues de formation, de s’informer sur les cycles de formation qui sont disponibles, avec un capital minimum de 500 euros au bout d’un certain nombre d’années, avec capitalisation sur plusieurs années. Aujourd’hui nous avons un certain nombre de personnes qui n’ont pas d’appétit pour la formation. Ce dispositif sera-t-il suffisant pour aller se former ? Cela me parait un pari très ambitieux voire inatteignable. J’ai le sentiment que pour cette frange de personnes qui n’ont pas le reflexe de la formation, les laisser en autonomie complète ne permettra pas atteindre les objectifs fixés.

S’engager dans un processus de formation pour un niveau 4 ou 5, cela a un cout suivant la durée de formation. Mais dès l’instant où vous avez déjà acquis un certain nombre de compétences ou de qualifications, s’orienter vers d’autres cycles  formations avec une valeur ajoutée professionnelle plus élevé, ce capital ne va pas être suffisant.”

Joel Ruiz complète en indiquant que :

“la réforme du CPF est un pari en cela qu’il est plus facile à comprendre (“j’aurais x euros”) mais il a un inconvénient “celui de la thésaurisation : “dès que j’en aurai besoin, je l’utiliserai”. Mais le mécanisme n’est pas conçu comme cela, car il se recharge par l’ancienneté. La thésaurisation est un effet pervers et non souhaité. Il y a là un vrai sujet d’accompagnement.

Dans le compte en heures, on remarque déjà l’effet “je les garde au cas où”. On constate que l’essentiel du compte est utilisé quand il y a eu rupture du contrat de travail. C’est là où je pense qu’il faudrait ajouter dans le texte la possibilité de co-investir ou d’abonder. Dès lors que vous avez un compte en euros, et que vous avez la branche ou l’employeur qui va vous dire “j’ai besoin que vous montiez en compétences et je suis prêt à mettre 50 % en contrepartie en plus, allez-y utilisez cette opportunité, cela aura un effet déclencheur.”

Au delà de l’appétence, Jean-Philippe Maréchal souligne que :

“La “financiarisation” du CPF se traduit directement par une baisse du droit. SI on a 150 h avec un prix moyen de 35 euros, on arrive à 5250 euros. Mais à terme on aura un maximum de 5 000 euros sur le compte CPF ! Par ailleurs en renvoyant l’acte de formation sur la personne d’un côté et sur l’entreprise de l’autre, on casse la stratégie de co-construction, qui devra se redynamiser par des politiques de branches. Pour la monétisation du CPF, certains ont déjà l’illusion de pouvoir simplement cliquer sur une formation et l’obtenir. Mais c’est oublier le prix d’une journée de formation. Cela va générer des frustrations car ils ne pourront pas “s’offrir” autant de jours de formation qu’ils le souhaitaient.”

Séance du Sénat en replay :

http://videos.senat.fr/video.645282_5afa0d97d1c3f.table-ronde-sur-la-formation-professionnelle?timecode=1128460

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  1. Avatar de Didier Cozin
    Didier Cozin

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